Élément catalyseur de toute création littéraire et artistique, l’objet‑fétiche connaît plusieurs typologies : l’objet‑fétiche séducteur, l’objet‑fétiche mémoriel, l’objet à pouvoirs magiques, l’objet‑fétiche théâtral, l’objet‑icône, dont l’auteur trouve des illustrations dans la littérature, le cinéma et l’art contemporain. Étroitement lié à la visualité, le fétiche devient un objet séduisant qui a un pouvoir décisif sur l’action. Présent dans les Argonautiques d’Apollonios de Rhodes sous la forme de la Toison d’or, « objet exceptionnel aux connotations magiques » qui engendre un plaisir fétichiste, l’objet‑fétiche sensoriel s’insinue dans le théâtre goldonien, à côté de l’objet‑fétiche des marchandises, pour se doubler, chez Max Ophüls, d’un fétichisme mémoriel et obsessif.
La banalité de l’objet devient, pour les romanciers et les artistes modernistes, un domaine de recherche et d’inspiration. Le monde objectal quotidien est transfiguré dans leurs œuvres de diverses maniѐres. M. Fusillo parle d’un fétichisme mental dans le cas de Proust et de Woolf et d’un fétichisme féminin chez Djuna Barnes, avec Le Bois de la nuit. Le roman La Montagne magique, avec lequel on entre dans un monde où les objets‑fétiches respirent un air fantasmatique érotique, ouvre la voie vers un fétichisme lié à la pathologie. M. Fusillo y inscrit Raymond Isidore e la sua cattedrale de Edgardo Franzosini, La porte de M. Szabo et Homer and Langley de E. L. Doctorow. Il s’agit, dans tous ces romans, d’une passion pathologique pour les objets insignifiants. Le Nouveau Roman ajoute, à cette lignée fétichiste du banal, une nouvelle dimension : le monde objectal reçoit des valeurs symboliques et une importance centrale dans l’intrigue romanesque. C’est le cas, entre autres, des Gommes de Robbe‑Grillet. L’oulipien Pérec propose, avec La Vie mode d’emploi, un univers objectal fétichiste à échos obsessionnels, lié au détail minimal et au quotidien. Dans le domaine cinématographique, c’est le film Dillinger est mort de Marco Ferreri qui est « dominé par les objets et par l’absurdité du quotidien » (p. 199). La fascination pour l’altérité de la matiѐre s’insinue aussi dans l’arte povera, un mouvement du xxe siѐcle caractérisé par la réduction à l’essentiel, par un penchant pour les matériaux archaïques, primordiaux, bruts et par le rapport entre culture et nature.
La littérature postmoderne propose des objets chargés de significations symboliques et mémorielles. C’est le cas, dans Outremonde, le roman de Don DeLillo, d’une balle de baseball provenant d’un match de 1951, qui provoque un « plaisir fétichiste, surtout tactile […] chez le personnage » (p. 209). C’est un objet qui s’inscrit, par son appartenance à un événement unique, spectaculaire, dans ce que l’auteur appelle la série des objets‑icônes : un « unicum » (p. 211) Dans le roman L’Homme à l’autographe de Zadie Smith, l’autographe dévoile « les mécanismes de l’obsession fétichiste : la projection sur le détail d’un désir tendanciellement infini » (p. 212). Dans Snuff, Chuck Palahniuk offre une autre typologie d’objet‑icône : il s’agit d’une reproduction en plastique des organes sexuels appartenant aux grands acteurs du porno (p. 215). Les arts plastiques proposent des objets‑icônes variés présents dans le Pop Art et dans la commodity sculpture, dont l’exemple le plus pertinent serait le Pig Island de Paul McCarthy : "une installation […] où défilent des pirates, des clowns, des Pѐre Noël, des pots de ketchup, des avatars faits maison, des icônes du spectacle, des cochons, des bouteilles de whisky." C’est par ce bric‑à‑brac chaotique, impressionnant par son accumulation infinie et par son caractѐre animiste, que l’on pourrait achever la présentation du livre de Massimo Fusillo, comme pour souligner l’idée que tout objet, du plus humble au plus précieux, pourrait être chargé d’un sens symbolique et devenir le substitut d’une « plénitude perdue ».